Nous sommes le 29 février 1879, à Southampton. Un gros bateau à roue, le Danube, s'apprête à appareiller.
Sur le pont, un jeune officier de 23 ans, ému mais souriant, fait des signes à une femme vêtue de noir qui, sur le quai, pleure doucement.
Un hurlement de sirène, le bruit des pales qui commencent à tourner et le bateau quitte le port.
Rapidement, il gagne le large tandis que, sur le quai, la femme agite maintenant une écharpe blanche que le jeune homme s'efforce d'apercevoir le plus longtemps possible.
Ce sera la dernière vision qu'il aura de sa mère. Ces deux êtres, en effet ne se reverront plus.
Qui sont-ils ?
Lui, ce jeune officier élégant aux yeux bleus, dont les cheveux sont légèrement parfumés à la violette, c’est le prince impérial Louis, fils de Napoléon III.
Elle, cette dame en noir, c'est l'impératrice Eugénie, exilée en Angleterre depuis la chute du Second Empire, et veuve depuis six ans.
Le prince impérial a obtenu du gouvernement britannique, alors en guerre contre les Zoulous, l'autorisation de s'engager dans la Royal Horse Artillery. C'est donc sous l'uniforme anglais que ce Bonaparte, arrière-neveu de Napoléon 1er, va se battre en Afrique du Sud. […]
Le 1er juin, il part en mission dans la brousse avec une dizaine d'hommes. Vers deux heures, le petit groupe s'arrête pour déjeuner. L'endroit est calme et l'on s'attarde. […]
Soudain, une horde de Zoulous, grimaçants et armés de sagaies, surgit des hautes herbes en hurlant et attaque le petit campement. Pris de panique, les Anglais sautent sur leurs chevaux et se sauvent sans tirer un coup de feu.
Le prince Louis reste seul contre les assaillants. Armé de son revolver, il tient tête désespérément pendant quelques minutes. Mais un javelot l'atteint au ventre ; un autre lui crève l'œil droit. Il s'effondre. Les Zoulous s'acharnent alors sur le mourant ; on retrouvera son cadavre transpercé de 17 coups de sagaie...
Le lendemain, une colonie anglaise va chercher le corps du prince impérial et le ramène à Durban où il est placé sur un bateau en partance pour l'Angleterre...
En apprenant la mort de son fils, l'impératrice Eugénie, nous disent les témoins, « poussa un cri horrible, puis s'effondra, comme hébétée ». Pendant des semaines, des mois, son désespoir est effrayant.
Puis, en Avril 1880, elle décide de se rendre en Afrique du Sud pour passer le jour anniversaire de la mort de Louis à l'endroit même où les Zoulous l'on tué. Elle arrive à Pietermaritzburg.
Aussitôt, accompagnée du marquis de Bassano, de quelques officiers anglais, de deux dames de compagnie, d’une escorte de vingt cavaliers et d’un guide zoulou, elle s’enfonce dans la brousse.
- L’endroit doit être facile à trouver, dit-elle en partant, puisqu’on y a élevé un tas de pierres en forme de pyramide.
Hélas ! depuis un an, la végétation dévorante de la forêt tropicale s’est développée. Pendant plusieurs jours, on tâtonne, on tourne en rond dans un effroyable enchevêtrement d’herbes géantes, de lianes et de plantes hostiles.
Un soir, alors que tout le monde est las et découragé, l’un des Anglais, Sir Evelyn Wood, dit à l’impératrice :
- Je suis désolé, Madame, mais je crois qu’il faut renoncer à poursuivre nos recherches. […]
Eugénie baisse la tête. Elle aussi commence à penser que toutes ces recherches sont inutiles, que la forêt a effacé à jamais l'endroit où son fils a été massacré, que son entreprise est insensée et qu'elle a fait douze mille kilomètres pour rien... Elle rentre sous sa tente et passe la nuit à pleurer.
Au petit matin, tout le groupe commence à faire les préparatifs du départ. Encore quelques sacs à boucler et la petite expédition va reprendre le chemin de Dundee.
C'est alors qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire. L'impératrice Eugénie, qui est prostrée au pied d’un arbre, se relève soudain comme si elle était touchée par une inspiration subite. Les Anglais la regardent. Elle paraît bouleversée :
- C'est par ici ! crie-t-elle.
Et s’emparant d’une hachette, elle s’enfonce dans la forêt suivie de ses compagnons éberlués. Marchant droit devant elle, tranchant des lianes, trébuchant sur des souches et des troncs d’arbres renversés […] elle se dirige sans hésiter vers un point mystérieux.
Pendant des heures, ne s'arrêtant pas une seconde, comme poussée par une force surnaturelle, cette femme de cinquante-quatre ans, qui n'a aucune habitude des exercices physiques, marche ainsi sans manifester la moindre fatigue.
Tout à coup, ses compagnons l'entendent pousser un cri de triomphe :
- C’est ici !
Incrédules, ils s’approchent et voient qu’effectivement Eugénie a trouvé, à demi caché dans les broussailles, le tas de pierres amoncelées en forme de pyramide. L'impératrice est tombée à genou et pleure.
Quand elle se relève, Sir Evelyn Wood vient près d’elle :
- Comment avez-vous pu deviner, madame, que ces pierres se trouvaient là ?
Eugénie explique alors qu'au moment où, désespérée, elle allait suivre ses compagnons et rentrer à Dundee, elle a soudain senti un extraordinaire parfum de violette.
- Ce parfum, dit-elle, m'entourait, m'assaillait même avec une telle violence que j'ai cru défaillir. Or, vous l'ignorez sans doute, mon fils avait une véritable passion pour ce parfum. Il en usait à profusion pour ses soins de toilette. Alors, il m'a semblé que c'était un signe. Et j'ai suivi aveuglément cette senteur sans douter un instant qu'elle me mènerait à l'endroit où Louis était tombé... Et vous voyez, j'ai eu raison. C'était bien un signe...
Les Anglais la considèrent avec stupéfaction.
- Maintenant, ajoute Eugénie, soyez gentils. Laissez-moi seule...
Sir Evelyn Wood et ses compagnons se retirent à une centaine de mètres et établissent un campement, tandis que l'impératrice demeure toute la nuit seule, à genoux et en pleurs, auprès de la pyramide de pierre devant laquelle elle a allumé des bougies en guise de cierges.
Or, au petit matin, il se passe un fait étrange : bien qu'il n'y ait pas le moindre souffle de vent, l'impératrice voit tout à coup la flamme des bougies se coucher comme si quelqu'un voulait les éteindre. Très émue, elle demande :
- Est-ce toi qui es là ?... Tu veux que je me retire ?...
Alors, les flammes s'éteignent brusquement.
Et Eugénie s'en va en tremblant rejoindre ses compagnons.
Sources :
- Histoires Magiques de l'Histoire de France, Tome 1, Guy Breton et Louis Pauwels, éditions Omnibus
- Connaissez-vous le prince impérial ? Alain Decaux, Presses Pocket
- L’impératrice Eugénie en exil, Comtesse Des Garets, Paleo