Voici une histoire troublante d’incorporation (ou de possession) qui reste à ce jour inexpliquée… Extrait :
Nous sommes le 11 novembre 1918, à Calais. Depuis onze heures du matin, moment extraordinaire où toutes les cloches de la ville se sont mises à carillonner pour annoncer la fin de la guerre, une foule surexcitée parcourt les rues en agitant des drapeaux et en chantant La Marseillaise, La Madelon ou Tipperary. On pleure, on rit, on s’embrasse, on boit à la victoire. Des bals s’improvisent au coin des rues…
Dans cette foule en folie, il y a deux êtres qui ne se connaissent pas encore mais que le destin va brusquement mettre face à face et qui sont appelés à vivre la plus extraordinaire, la plus stupéfiante des aventures …
Lui, s’appelle Michel Davel. Il a vingt ans, il est simple matelot. Elle s’appelle Rose-Mary Adrian. Elle est blonde, ravissante et elle a dix-sept ans. Elle vit chez ses parents dans une grande maison entourée d’un parc, à la sortie de Calais. Son père est anglais, sa mère est française. Elle parle couramment leurs deux langues.
Si Michel est seul dans la foule, Rose-Mary, elle, est accompagnée de trois cousines de quatre à cinq ans ses aînées. Toutes les quatre ont piqué sur leurs manteaux ou sur leurs bérets des cocardes tricolores et de minuscules drapeaux britanniques. Bras dessus, bras dessous, elles s’approchent d’un petit bal improvisé où des couples dansent…
C’est là que Michel, qui regarde les danseurs, remarque tout à coup Rose-Mary. Il est fasciné par tant de charme et comme aujourd’hui tout est permis, il s’approche et prend le bras de la jeune fille.
– Vous venez danser ?
Elle tourne la tête, amusée. Il est marin, joli garçon, c’est la Victoire: elle le suit sans se faire prier, toute fière d’avoir été choisie. Or, dès qu’ils commencent à danser, ils se sentent envahis, submergés par une émotion qu’ils n’ont encore jamais connue…
Quand la musique s’arrête, le matelot ramène Rose-Mary vers ses cousines; mais il ne la quitte pas. Il a d’ailleurs décidé de ne plus jamais la quitter.
– Monsieur reste avec nous ? demande une des jeunes filles.
– Oui ! répond simplement Rose-Mary.
Tout le groupe replonge dans la foule. Les trois cousines devant, Rose-Mary et Michel derrière, main dans la main, savourant un plaisir étrange qui leur tourne un peu la tête … Ils se revoient le lendemain, le surlendemain, tous les jours. Et un soir, Rose-Mary annonce à ses parents qu’elle veut se marier.
M. Adrian prend des renseignements sur Michel et apprend que le jeune homme n’a « ni fortune ni espérance »… Alors, il s’oppose de façon catégorique au mariage.
– De plus, ajoute-t-il, je t’interdis absolument de revoir ce garçon !
Rose-Mary est effondrée. Elle sanglote, elle ne veut plus vivre. Elle tombe malade. Au bout de quelques semaines, M. Adrian a une idée :
– Pour t’aider à guérir, dit-il, nous allons quitter la France. Nous irons vivre en Australie. Là-bas, tu te feras de nouvelles relations et tu finiras par oublier… Crois-moi, je te tiens le langage de la sagesse. Les mésalliances n’ont jamais fait de ménage heureux !
Un mois plus tard, la famille Adrian quitte Calais et va s’installer à Perth, en Australie.
Et les années passent. Mais Rose-Mary reste fidèle à Michel. Elle repousse toutes les demandes en mariage, tous les amoureux, tous les soupirants. Et Dieu sait qu’il y en a autour de cette fille intelligente, belle et fortunée.
Au début de 1935, elle a trente-quatre ans quand ses parents meurent, victimes d’une épidémie. Elle quitte alors Perth et va habiter Melbourne.
Et c’est là qu’un matin, dans une rue, elle se trouve soudain face à face avec un homme qui s’arrête et qui crie :
– Rose-Marie !
Le son de cette voix qu’elle aurait pu reconnaître entre mille la fait presque défaillir. Elle murmure:
– Michel !…
Pourtant, elle a du mal à reconnaître les traits du petit matelot de 1918. En dix-sept ans, il a changé. Il lui semble plus grand ; son visage même est différent : la mâchoire est plus large et les yeux d’un bleu plus foncé qu’autrefois… Mais il parle et elle retrouve son accent du nord de la France, ses expressions, son rire.
Il l’entraîne dans un café et, pendant une heure, il évoque des souvenirs. Les images qu’il ressuscite la touchent au plus profond d’elle-même, car il se souvient de tout jusqu'au moindre petit détail y compris ce qu’il lui a dit en la raccompagnant le soir jusqu’à la maison de ses parents… Il n’a rien oublié !
– Que fais-tu ici, Michel ?
– Je suis docker dans le port de Melbourne depuis l’année dernière… Je parle si mal anglais que je n’ai pu trouver mieux…
– Quand es-tu venu en Australie ?
– Ma réponse va t’étonner : je ne sais pas. J’ai eu un accident le 12 août dernier. On m’a relevé sur le bord de la route avec une fracture du crâne et conduit à l’hôpital. Quand je me suis réveillé, il y avait une grande zone d’ombre dans ma mémoire… et toi ?
Rose-Mary raconte sa vie avec ses parents...
Le mois suivant, ils se marièrent. Rose-Mary fit entrer Michel (malgré son mauvais anglais) dans une entreprise dirigée par un ami de son père, et ils furent heureux, d’un bonheur de conte de fées, pendant treize ans…
Mais un soir de 1948, Michel, qui s’était absenté pendant deux jours, rentre chez lui avec un air tellement bouleversé que sa femme se précipite :
– Que se passe-t-il ?
Michel reste un long moment silencieux. Puis il parle. Et Rose-Mary le regarde ahurie, stupéfaite, car il parle dans un anglais impeccable. Et voici ce qu’il dit :
– Rose-Mary… je viens de découvrir une chose effroyable… Je ne suis pas Michel…
– Quoi ?
– Non… La mémoire m’est revenue, je ne suis pas français… je suis anglais… Je m’appelle George Littlon. Je vivais à Adélaïde quand j’ai eu mon accident, et j’ai déjà une femme légitime qui est toujours vivante…
– Ce n’est pas vrai ?
– Si… La mémoire m’est revenue subitement il y a trois jours, et j’ai fait une enquête. Ma femme vit toujours à Adélaïde, je l’ai vue hier et elle m’a reconnu tout de suite.
– Mais ce n’est pas possible !
– Écoute-moi : en 1934, le 12 août, j’ai fait une chute, je me suis ouvert le crâne, j’ai perdu la mémoire et l’on m’a transporté à l’hôpital. Alors, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais en me réveillant, je parlais français. J’ai dit que je m’appelais Michel Davel. Comme je n’avais pas de papiers sur moi, le personnel administratif m’a pris pour un marin français en rupture de bord et les autorités australiennes m’ont donné une carte de séjour et une carte de travail. Puis je t’ai rencontrée et, pendant treize ans, je n’ai eu aucun doute. J’avais curieusement dans ma mémoire tous les souvenirs d’un autre… de celui que tu as aimé autrefois.
Rose-Mary pense devenir folle. Comment croire cette histoire alors que son mari lui a rappelé, tout au long de ces treize ans de vie commune, mille détails de leur adolescence, mille faits qu’eux seuls connaissaient ?
S’imaginant que son mari invente cette histoire extravagante pour la quitter, elle se rend à la police. Mais elle ne tarde pas à apprendre que tout est vrai.
Alors brisée, elle retourne en Angleterre et elle charge des amis français de faire des recherches pour savoir ce qu’est devenu Michel Davel, le vrai.
Un matin, elle reçoit la réponse. Une réponse qui la terrifie : Michel est mort accidentellement le 12 août 1934, c’est-à-dire le jour même où l’autre, en Australie, s’était ouvert le crâne…
Après avoir appris que le vrai Michel état mort exactement à la même date, Rose-Mary a été tellement troublée qu’elle a décidé de consacrer le reste de sa vie à enquêter sur les mystères de la mort et écrits de nombreux livres sur ce sujet.
Elle a même fondé une société de recherche métapsychique. Pendant des années, leur premier sujet d’étude fut le cas Davel. Rose-Mary et certains membres de cette société ont été de farouches enquêteurs !
Sources : Histoires magiques de l’histoire de France, Guy Breton & Louis Pauwels, Tome 1, page 731 à 738, Éditions France Loisirs, 2000.
Pour aller plus loin :
Vous pouvez retrouver l’histoire dans sa totalité et le compte rendu en cliquant sur le lien ci-dessous :
C'était impossible... et pourtant ! Pierre Bellemare & Grégory Frank, page 9 à 29, Éditions Flammarion, 2014.