Éditions Sabine Wespieser, 2006, 794 pages.
Traduit du vietnamien par Phan Huy Duong.
Grand Prix des lectrices de Elle.
C’est en revenant d’une journée en forêt, située en plein cœur du Vietnam, que Miên, jeune femme du Hameau de la Montagne, ressent au fond d’elle un étrange mauvais pressentiment l’envahir. Elle pense d’instinct à son petit garçon Hanh et à son mari Hoan et se rassure en continuant sa route. Dès qu’elle s’approche de chez elle, à la seule vue de l’attroupement d’hommes et de femmes, elle comprend très vite qu’un malheur vient de s’abattre sur son foyer.
Il s’agit de Bôn son premier mari, qu’elle ne reconnaît pas tout de suite, puisqu’il avait été déclaré mort, il y a plusieurs années, lors de la guerre contre les Américains. Et pourtant c’est bien lui qui lui parle, qu’il l’appelle comme un fantôme venu hanter son esprit. Elle n’arrive pas à le croire, ne veut pas revenir avec cet homme du passé devenu un étranger. Cela fait près de dix ans qu’elle est remariée, en toute légitimité, avec Hanh, un riche propriétaire terrien, beau et tendre, qu’elle aime passionnément et qu’il l’aime, avec qui elle a eu un fils et mène une existence heureuse.
Miên doit prendre une décision, celle qui conviendra le mieux aux yeux de la communauté soumise à la tradition, au code d’honneur face à ce martyr qui a sacrifié sa jeunesse à la nation dans une guerre sans précédent. Car de tout temps les femmes qui osaient s’opposer aux masses devaient quitter le village pour vivre d’expédients ou se prostituer dans les villes. Même après être parties, quand elles reviennent, elles subissent des pressions impitoyables que le temps n’adoucit jamais. C’est donc à contrecœur que Miên décide de repartir vivre avec Bôn, laissant sa somptueuse demeure pour un bouge misérable délabré qu’elle doit partager avec son ancienne belle-sœur Tà, à l’allure écoeurante et vulgaire.
Hoan depuis le départ de sa bien aimée tente de survivre. Bôn, anéantit moralement et physiquement par la guerre, fait tout pour re-séduire sa femme en arrangeant au mieux sa masure et en essayant d’y travailler la terre, mais sa seule obsession, c’est d’avoir un fils, fonder une famille. Il oblige Miên, nuit après nuit, à s’offrir à lui malgré une humiliante impuissance. Miên vit un véritable calvaire et elle reste prostrée, froide et silencieuse, car son esprit est ailleurs, elle ne cesse de penser à Hoan.
Dans ce tragique triangle amoureux, la romancière nous entraîne dans l’après-guerre du Vietnam aux principes moraux et politiques détruisant ces trois personnages déchirés par l’amour et les démons du passé.
C’est un sublime roman à l’écriture poétique mêlant la sensualité et la cruauté dans de somptueuses descriptions remplies de couleurs et d’odeurs. Le lecteur ne peut qu’en sortir ébloui, chaviré.
Citation :
«Si je veux cracher sur le pouvoir, je n'ai pas le droit de craindre». Duong Thu Huong.