Papa aimait beaucoup un poème qu’il connaissait par cœur « ma bien-aimée » ou encore « Mein Liebling » en allemand, par le défunt poète Schubert Koenig Bonhoeffer (1862-1937). Bonhoeffer était infirme, sourd et borgne, mais papa prétendait qu’il était davantage à même d’appréhender la nature du monde que la plupart des individus en possession de tous leurs sens.
Allez savoir pourquoi, peut-être sans raison, ce poème me faisait toujours penser à Hannah.
« Où se trouve l’âme de ma bien-aimée ? »
Quelque part cependant elle doit bien être
Elle ne gït en des mots ou des promesses,
Changeante comme l’or son âme peut être.
« Elle est dans les yeux, dit le grand poète,
Car c’est bien là que l’âme se perd »
Mais regarder ses yeux ; ils scintillent
Aux nouvelles du ciel comme de l’enfer.
J’ai jadis cru que ses lèvres grenat
Signaient son âme comme la neige l’hiver,
Mais elles sourient aux histoires tristes,
Ce qu’elles annoncent alors, je m’y perds
J’ai pensé que ses doigts et ses mains fines,
Sur ses genoux, étaient comme des colombes,
Mais parfois au toucher, froides comme la glace,
Au contraire tout un monde elles incarnent.
Mais quand elle me fait un signe d’adieu,
Ma bien-aimée, je ne le supporte pas,
Elle disparaît dès que j’atteins la route,
Fenêtres désertes, foyer aux abois.
Parfois j’aimerais comprendre sa démarche,
Comme les marins une carte annotée,
Trouver les instructions de ses regards,
Dire, « les rêves deviendront réalité ».
Qu’une vie si lumineuse est étrange !
Même Dieu d’elle aurait fini par douter,
Et moi, je reste dans la perplexité,
Et la pénombre de ma bien-aimée.
J’ai beaucoup aimé ce passage tiré du livre La physique des catastrophes de Marisha Pessl.