Éditions Gallimard, 2007, 229 pages.
« L'Échappée » c'est Madeleine, une jeune fille de seize ans qui, en 1941, travaille comme bonne à tout faire dans un hôtel à Rennes pour échapper au trop lourd contexte familial dans lequel elle a du mal à vivre, elle étouffe.
Dans ce milieu paysan vivant dans le non-dit où l'Occupation prend place, ses parents tiennent une épicerie dans le village de Moermel, mais Madeleine a choisi de vivre sa propre vie, loin d'une mère qui n'a d'yeux pour son fils et d'un père qui se cure les ongles en ressassant les comptes de la boutique.
Fuir cet endroit austère, la routine, c'est tout ce qui importe à Madeleine « À Moermel, les champs succèdent aux champs. Les lignes de fuite aux lignes de fuite. » Elle veut exister, être quelqu'un. « À Rennes, les motifs se répètent sur le papier peint des chambres, le tissu des rideaux, semblables aux broderies de la mère ; les heures, les jours, les mois se déroulent en frise continue, selon la même pulsation lente, ne laissant place ni au hasard, ni à la fantaisie. » C'est donc, sans réfléchir aux conséquences, qu'elle accepte, même si elle ne sait pas déchiffrer la musique, de devenir l'accompagnatrice du pianiste allemand Joseph Shimmer.
Madeleine n'a peur de rien, malgré la crainte qui s'insinue chez ses collègues. Elle ne le perçoit pas comme un ennemi, il parle français, ses mains fines, aux ongles soignés, aux articulations de fille ne peuvent pas tenir un fusil, elles ne peuvent que jouer du Litz. Madeleine est amoureuse et quand Joseph Shimmer doit s'absenter, les jours sans lui deviennent de suite des jours pour rien.
À la Libération quelqu'un prend une photo de Madeleine tondue, humiliée, pour l'exposer comme un trophée en devanture des marchands de journaux avec pour légende : « Leçon d'hygiène patriotique ». Au beau milieu de la place publique, affalée sur sa chaise sous le poids des regards accusateurs, Madeleine veut s'enfuir loin, mourir quelque part, mais il y a Anna, son ange blond, qui l'attend à la maison.
Cet acte de transgression va la suivre toute sa vie ainsi que sa petite fille qui hérite de la honte de sa mère en subissant cet exil forcé afin d'échapper à la vindicte populaire.
Dans la dernière partie du livre, l’auteur continue l’histoire, sous trois versions différentes, laissant le choix au lecteur d’imaginer la destinée de Madeleine et Anna.
C'est un magnifique livre bouleversant, surtout le court passage de la tonte où, Madeleine, tatouée d'une croix gammée sur le sein tel un monstre à patte noire, subit ce qui lui arrive dans le silence, et voit, pour la première fois, l'illusion du pianiste Joseph Shimmer s'évaporer pour se transformer en officier allemand.
Valentine Goby, que j'ai découvert avec La note sensible, décrit avec beaucoup de sensibilité la souffrance de ces femmes violentées moralement et physiquement et qui trouvent encore le courage de se battre pour continuer à vivre dans le seul but de se sentir libre.
D'autres avis sur ce livre : Alice [Merci !! :-D], Clarabel, Gambadou, Mireille, Philippe, Yvon...