Éditions Stock, 1999, 737 pages.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban.
« Nous étions les Mulvaney » cette phrase sonne comme un regret, une amertume dans la bouche de Judd, le dernier-né de cette belle famille unie, sociable, appréciée de tous et incarnant à merveille le rêve américain. « Car les Mulvaney étaient une famille qui trouvait précieux tout ce qui lui arrivait, où l’on conservait la mémoire de tout ce qui était précieux et où tout le monde avait une histoire. Raison pour laquelle vous étiez nombreux à nous envier, je crois. Avant les évènements de 1976, quand tout vola en morceaux qui ne furent jamais recollés tout à fait de la même façon. » Entre ses trois frères et sa sœur Marianne, Judd n’est que le bébé, le gosse, celui à qui l’on ne confie rien, mais qui voit tout.
Judd a trente ans, c’est un adulte maintenant qui est devenu rédacteur en chef du journal local de Chautauqua, région de son enfance. Il veut mettre par écrit ce qui s’est réellement passé, comprendre pourquoi les Mulvaney, qui étaient prêts à mourir les uns pour les autres, ont vu leur vie du jour au lendemain basculer dans l’horreur. « Ce document n’est pas une confession. Absolument pas. J’y verrais plutôt un album de famille. Comme maman n’en a jamais tenu, totalement véridique. Comme la mère de personne n’en tient. Mais, si vous avez été enfant dans une famille, quelle qu’elle soit, vous en tenez un, fait de souvenirs, de conjectures, de nostalgie, et c’est l’œuvre d’une vie, peut-être la grande et la seule œuvre de votre vie. »
En 1976, Judd a treize ans et la ferme de ses parents est un lieu magique où s’ébattent librement, sur une centaine d’hectares, les chevaux, les oiseaux, les chiens et les chats, tous ces animaux font partie intégrante de la famille. C’est une vraie maison de conte de fées qui déborde d’amour et de générosité. La réussite sociale due au travail et au mérite de chacun fait le bonheur de tous. Michael Mulvaney, cet homme robuste, bâti comme un bœuf, est un bon père de famille qui adore sa femme. Il est fier de son entreprise du bâtiment, il a trimé dur pour la monter ce qui lui vaut une réputation d’homme courageux, honnête et respectueux. Corinne, s’occupe de la ferme avec l’aide de ses enfants. Cette mère autoritaire, mystérieuse et un peu trop pieuse est une amoureuse des vieilles choses qu’elle achète aux marchés aux puces, aux ventes à l’encan pour les entasser dans un coin de la grange avec l’intention de les revendre, mais comme toute passionnée, elle du mal à s’en séparer. « C’est comme ça que je suis, une drôle de femme un peu ridicule, une femme ordinaire, une mère de séries télévisées, mais Dieu a quand même touché ma vie. »
À tous les étages, flotte une atmosphère de bonheur et de tendresse comme aime se le répéter Michael « Nous, les Mulvaney, nous sommes unis par le cœur », jusqu’au drame de la Saint-Valentin qui vient mettre un terme à cette existence idyllique que je ne peux vous révéler sans risquer de vous en dire davantage et puis quels mots peuvent résumer une vie entière, un bonheur aussi brouillon et foisonnant se terminant par une souffrance aussi profonde et prolongée ?
Gros coup de cœur pour ce roman, j’ai pris mon temps, à chaque page je le savourais et il y en a plus de 700 !!! Joyce Carol Oates explore à merveille la terrible fêlure qui petit à petit va séparer, faire éclater cette famille puritaine au comportement très paradoxal qui devient victime de son sinistre destin. Une somptueuse description sans pitié de la nature humaine!