Et si nous pouvions par la seule force de notre pensée créer une forme humaine en respectant une longue et contraignante procédure qui n’exige ni obscurité ni cadre particulier ?
L’exceptionnelle aventureuse Alexandra David-Neel, qui n’était pas particulièrement convaincue de la réalité de cette création, a voulu l’expérimenter et c’est cette matérialisation qu’elle nous décrit dans son ouvrage "Mystiques et magiciens du Tibet"
Aux nombreuses questions qu’elle avait formulées sur le problème des "fantômes", le Dalaï-lama avait confirmé la possibilité de créer des formes magiques par la seule concentration de pensées. Une pratique relativement courante au Tibet.
Certains magiciens créent des fantômes, des "tulpas", afin de disposer de serviteurs dociles. Ces tulpas ont une apparence, une odeur, et surtout une consistance matérielle qui leur permet d’accomplir la mission pour laquelle ils ont été créés.
Mais il arrive parfois que l’expérience tourne mal et que la créature se rebelle contre son maître, dans un combat pour la liberté et l’autonomie. Et si la créature refuse d’être renvoyée au néant par son créateur, cela peut mal se passer… C’est du moins ce dont témoigne Alexandra David-Neel :
« L’opération de la dissolution donne lieu à des drames. Le magicien s’efforçant de détruire son oeuvre, et le fantôme s’acharnant à conserver la vie qui lui a été infusée. »
La créature sort parfois victorieuse de son combat contre son créateur, et donc voilà un fantôme de plus dans le monde des vivants…
On peut bien sûr sourire devant de tels récits, seulement, quand on sait que ces fantômes ainsi créés ont été vus dans certaines circonstances, il convient d’adopter une position réservée, mais ouverte. Et de s’intéresser au processus de création par la pensée de ces fantômes domestiques.
Ce que fit notre exploratrice, qui décida de tester par elle-même le procédé.
Elle se concentra, ainsi qu’on le lui avait expliqué, afin de donner naissance à un lama bonhomme. Et le fantôme prit naissance après quelques mois de ce travail de pensée constructive.
Alexandra David-Neel avait pleinement conscience qu’il s’agissait sans doute d’une illusion, d’une projection de son imagination, mais, quand la créature fut observée par des tiers, il fallut bien se rendre à l’évidence : l’existence de cette forme était objective. Il n’était plus possible de parler d’hallucination.
« Un jour, un pasteur qui m’apportait du beurre vit le fantôme, qu’il prit pour un lama en chair et en os. J’aurais probablement dû laisser le phénomène suivre son cours, mais cette présence insolite commençait à m’énerver. Elle tournait au cauchemar. »
Le fantôme tenta par la suite d’acquérir son indépendance vis-à-vis de sa créatrice, ce qui semble être un comportement assez classique, et celle-ci eut toutes les difficultés à le renvoyer dans le monde de l’incréé.
« Je me décidais à dissiper l’hallucination dont je n’étais pas complètement maîtresse. J’y parvins, mais après six mois d’efforts. Mon lama avait la vie dure. »
Un phénomène qui peut également échapper à tout contrôle, comme nous venons de le comprendre, jusqu’à se mouvoir selon sa propre volonté et devenir peut-être l’une de ces forces néfastes, voire maléfiques, que les récits angoissants de grandes hantises rapportent parfois…
Sources :
- Mystiques et magiciens du Tibet - Alexandra David-Neel, Ed. Pocket (page 429-430)
- Les histoires inconnues de l'Histoire de Philippe Vidal, Ed. Michel Lafon (page 219)