Il arrive que, au moment de la mort, on entende une étrange musique dont on ne peut expliquer l’origine. Le cas le plus célèbre est celle qui fut entendue lors des derniers instants de Wolfgang von Goethe.
Le 22 mars 1832, vers 10 heures du soir, deux heures avant le décès de Goethe, une voiture s’arrêta devant la demeure du grand poète.
Une dame en descendit et s’empressa d’entrer en demandant d’une voix tremblante au domestique : « Est-il encore vivant ? »
C’était la comtesse V., admiratrice enthousiaste du poète et toujours reçue par lui avec plaisir à cause de la vivacité réconfortante de sa conversation. Pendant qu’elle montait l’escalier, elle s’arrêta tout à coup en écoutant ; puis elle questionna le domestique :
« Comment donc ? De la musique dans cette maison ? Mon Dieu… comment peut-on faire de la musique un jour pareil, ici ! »
Le domestique écoutait à son tour, mais il était devenu pâle et tremblant et n’avait rien répondu. La comtesse, en attendant, avait traversé le salon et était entrée dans le bureau, où, seule, elle avait le privilège de pénétrer.
Frau von Goethe, belle-soeur du poète, alla à sa rencontre, les deux femmes s’abandonnèrent dans les bras l’une de l’autre, éclatant en larmes. La comtesse demanda ensuite :
« Mais, dis-moi, Ottilie ; pendant que je montais l’escalier, j’ai entendu de la musique chez vous… Pourquoi ? Pourquoi ? Me suis-je peut-être trompée ? »
- Tu l’as donc entendue aussi ?, répondit Frau von Goethe, c’est inexplicable ! Depuis l’aube d’aujourd’hui une musique mystérieuse retentit de temps à autre, en s’insinuant dans nos oreilles, dans nos coeurs, dans nos nerfs.
Juste à ce moment, résonnèrent d’en haut, comme s’ils venaient d’un monde supérieur, des accords musicaux suaves, soutenus, qui s’affaiblirent peu à peu, jusqu’à s’éteindre.
Simultanément, Jean, le fidèle valet de chambre, sortait de la chambre du mourant, en proie à une vive émotion en demandant avec anxiété :
« Avez-vous entendu, Madame ? Cette fois la musique venait du jardin et résonnait juste à la hauteur de la fenêtre. »
- Non, répliqua la comtesse, elle venait du salon à côté.
On ouvrit les croisées et on regarda dans le jardin. Une brise légère et silencieuse soufflait à travers les branches nues des arbres ; on entendait au loin le bruit d’un char qui passait sur la route, mais on ne découvrit rien qui pût permettre de déceler l’origine de la musique mystérieuse.
Alors les deux amies entrèrent dans le salon d’où elles pensaient que devait provenir la musique, mais sans rien remarquer d’anormal.
La comtesse, en rentrant dans le salon dit : « Je crois ne pas m’abuser : il s’agit d’un quatuor joué à distance et dont nous parviennent, de temps en temps, des fragments. »
Mais Frau von Goethe remarqua à son tour :
« Il m’a semblé, au contraire, entendre le son proche et net d’un piano. Ce matin je m’en suis convaincue au point d’envoyer le domestique auprès des voisins, en les priant de vouloir bien ne pas jouer du piano, par respect pour le mourant. Mais ils ont tous répondu de la même façon qu’ils savaient bien dans quel état se trouvait le poète, et qu’ils étaient trop consternés pour songer à troubler son agonie en jouant du piano. »
Tout à coup, la musique mystérieuse retentit encore, délicate et douce ; cette fois elle semblait prendre naissance dans la pièce même. Seulement, pour l’un, elle paraissait être le son d’un orgue, pour l’autre, un chant choral, pour le troisième, enfin, il s’agissait des notes d’un piano.
Rath S., qui, à ce moment-là, signait le bulletin médical avec le docteur B., dans l’entrée, regarda avec surprise son ami, en lui demandant :
« C’est un concertina qui joue ? »
- Il paraît, répondit le docteur, peut-être quelqu’un dans le voisinage songe à s’amuser.
« Mais non, répliqua Bath S., celui qui joue est sans doute dans cette maison. »
Ce fut ainsi que la musique mystérieuse continua à se faire entendre jusqu’au moment où Wolfgang von Goethe exhala le dernier soupir ; parfois en retentissant avec de longs intervalles, en d’autres cas après de très courtes interruptions, un peu dans une direction, un peu dans l’autre, mais paraissant toujours venir de la maison même, ou tout près d’elle.
Toutes les recherches et enquêtes accomplies pour résoudre le mystère sont restées sans résultat.
Sources :
- Revue Parasciences n°112 (pages 88 à 90)
- Phénomènes psychique au moment de la mort, d’Ernest Bozzano, JMG éditions, pages 217 à 219. Pour info, Ernest Bozzano a repris cette histoire dans l'Occult Review (1903, page 303), qui elle-même l'a traduite du Gartenlaube (1860)
- Photos extraites du site Weimar-Lese/Goethes Wohnhaus