Voici une histoire des plus insolite racontée par Guy Breton dans le Tome 1 des Histoires magiques de l’histoire de France dans lequel une personne du passé rencontre une personne du présent...
Cette histoire incroyable, que Guy Breton a eu l’autorisation de consulter, figure dans les archives de la préfecture de police en date du 6 juin 1925 et a été reprise par Didier van Cauwelaert dans le Tome 1 du Dictionnaire de l’impossible. (Extrait) :
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Nous sommes en juin 1925, au jardin du Luxembourg. Un étudiant en médecine de vingt-quatre ans, Jean Romier, est en train de réviser ses cours au soleil, lorsqu’un vieillard en redingote vient s’asseoir à côté de lui. Rapidement, ce dernier engage la conversation et se met à parler de Mozart, une passion que partage le jeune homme.
« Venez donc chez moi vendredi soir à 9 heures, j’organise un petit concert de musique de chambre pour mes amis. Nous jouerons les quatuors avec flûte de Mozart. »
L’étudiant accepte, ravi de cette occasion d’entendre, sans bourse délier, son compositeur favori. Le vieillard se lève, donne son nom et son adresse : « Alphonse Berruyer, rue de Vaugirard, troisième gauche. »
Le vendredi 5 juin, à l’heure dite, Jean Romier sonne à la porte du vieux mélomane, et passe une soirée délicieuse en compagnie de sa famille et de ses amis. La seule chose qui l’étonne un peu, c’est que ces gens qui visiblement disposent d’une fortune confortable s’éclairent encore au gaz. Cela relève sans doute moins de la radinerie que du passéisme… D’ailleurs, ils sont tous habillés à la mode du siècle précédent, ont le teint pâle et les traits un peu figés, comme s’ils étaient en cire. […]
Entre deux quatuors, il devise avec les petits-fils Berruyer qui ont le même âge que lui : André prépare Navale, Marcel fait son droit… Ils grillent quelques cigarettes en buvant du madère. À minuit, il prend congé de ses hôtes, leur exprimant toute sa gratitude pour cette soirée hors du temps.
À peine arrivé sur le trottoir, il se rend compte qu’il a oublié son briquet en or. Un cadeau de ses parents auquel il tient particulièrement. Il remonte aussitôt, sonne. Pas de réponse. […]
Très perturbé, il entreprend de cogner à la porte. Le voisin de droite sort sur le palier, furieux de ce tapage nocturne. Jean lui explique la situation.
« Vous me prenez pour un idiot ? Cet appartement est vide depuis vingt ans ! » L’étudiant en médecine se dit qu’il a affaire à un fou, et lui répète sur un ton posé qu’il vient de passer la soirée chez Alphonse Berruyer. « Il est mort en 1905 ! riposte le voisin. Si vous êtes entré chez lui, c’est que vous êtes un cambrioleur. Au voleur ! »
Alerté par les cris, le concierge grimpe les marches et confirme la version délirante du troisième droite, qui appelle la police. Et le jeune homme en état de choc se retrouve au poste. Un coup de fil aux parents du prévenu permet d’établir sa moralité et sa bonne santé mentale.
Dès l’aube, le commissaire le ramène sur les lieux, pour vérifier ses dires. Aucune trace d’effraction. Ils sont rejoints par le propriétaire, un certain M. Mauger, qui ouvre de mauvaise grâce l’appartement laissé à l’abandon depuis qu’il l’a reçu en héritage. Jean Romier manque s’évanouir. L’appartement est tel qu’il l’a décrit, comme le constate le commissaire de plus en plus perplexe. Mais les meubles sont recouverts d’une épaisse couche de poussière, et les toiles d’araignées envahissent ce décor qui dégage une intense odeur de moisi.
« C’est lui, c’est Alphonse ! » s’exclame soudain Jean en désignant l’un des portraits. M. Mauger confirme : c’est bien son arrière-arrière-grand-père. Sur des photos encadrées, l’étudiant identifie dans la foulée le petit Marcel qui fait son droit, le jeune André qui prépare Navale… Atterré, le descendant ne peut qu’opiner […] il se souvient alors que pépé Marcel lui avait raconté un jour les concerts privés qu’organisait son propre grand-père […] « Qui d’autre pourrait s’en souvenir ? Même moi, j’avais oublié… »
Le commissaire demande à “l’invité du passé” pourquoi il a voulu revenir si vite dans cet appartement que, soi-disant, il venait à peine de quitter. Jean raconte l’oubli de son briquet, et les conduit dans le salon-bibliothèque où, quelques heures plut tôt, il fumait en compagnie de ce futur amiral défunt qui avait alors son âge. Et tous se figent devant le guéridon. Le briquet en or est bien là, frappé des initiales de Jean Romier. Mais il est recouvert, comme le reste, d’une épaisse couche de poussière et de toiles d’araignées...
Petite info supplémentaire :
* Albert Einstein, passionné par ce fait divers, a prononcé une phrase que les exégètes n’en finissent pas de commenter : « Ce jeune homme a trébuché dans le temps, comme d’autres ratent une marche d’escalier. » Il est vrai que, si l’on applique les conséquences de la relativité, il n’est pas exclu qu’on puisse voir aujourd’hui Marie-Antoinette peindre au Petit Trianon, comme ce fut le cas pour ces deux Anglaises dont le témoignage figure dans Les Fantômes de Trianon.
* Vous pouvez également écouter, par la voix de Tom Novembre, cette incroyable histoire dans l'émission La France mystérieuse, une série France Bleu : d’après le livre de Fabrice Colin L'Atlas de la France Mystérieuse aux éditions “Autrement”.
Durée 2’30