Voici une histoire vraie et incroyable que j’ai découverte dans le tome 1 des Histoires magiques de l’histoire de France dont je vous ai parlé récemment :
Nous sommes au mois de mars 1882, dans l’Atlantique Nord. Le cargo anglais Swallow, commandé par le capitaine Blackman, navigue aux environs de Terre-Neuve. Il est huit heures du matin ; dans sa cabine, le second, Robert Bruce, est occupé à faire le point. Quand il a fini, il interpelle à travers la cloison le capitaine Blackman, son voisin, qui doit être, lui aussi, penché sur ses cartes.
— Oh ! capitaine !... Nous sommes plus au nord que je ne le croyais… Quel est votre point ?...
N’obtenant pas de réponse, il s’en va frapper à la porte de son supérieur. Silence. Intrigué, il pénètre dans la cabine et s’arrête, stupéfait. Derrière la table où se tient généralement le capitaine Blackman, un homme inconnu est assis, qui le regarde avec une sorte de ferveur.
— Qui êtes-vous ? demande le second. Comment êtes-vous entré ici ?
L’autre demeure immobile et silencieux.
— Eh bien, répondez ! Qui êtes-vous ?
L’inconnu sourit sans dire un mot.
— Ah ! on fait la mauvaise tête. Eh bien, mon gaillard, moi, je connais quelqu’un qui va vous faire parler !...
Et le second monte sur le pont, trouve le capitaine et lui explique ce qui se passe.
— Un passager clandestin ? D’où peut-il sortir ? dit le capitaine Blackman. On l’aurait vu, depuis trois semaines qu’on est en mer !
Les deux hommes redescendent et pénètrent dans la cabine. Elle est vide.
— Alors, où est-il votre oiseau ?... Dites donc, Bruce, je n’aime pas beaucoup qu’on se paie ma tête !...
— Mais, capitaine, je vous assure, il était là ! C’était un homme assez fort, blond, aux yeux très clairs…
— En smoking, peut-être, avec un haut-de-forme ?
— Mais non, il portait des habits de marin…
À ce moment, le capitaine se penche sur la table :
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Sur l’ardoise qu’il utilise pour faire ses calculs, une phrase est écrite : Gouvernez nord-ouest !
— Qu’est-ce que cela veut dire ? Qui a écrit cela ? demande le capitaine Blackman.
— Je ne sais pas, répond le second. L’inconnu sans doute.
— mais où est-il, votre inconnu ?
— Je l’ignore !
— Eh bien, nous allons le chercher !
Et le capitaine donne l’ordre de visiter minutieusement le bateau. Pendant deux heures, les marins fouillent le Swallow du haut en bas sans trouver la moindre trace de l’inconnu rencontré par Robert Bruce. Finalement, le capitaine se fâche :
— Je veux savoir qui a écrit cette phrase sur mon ardoise, dit-il. Que chaque marin vienne ici faire une page d’écriture !
Tout l’équipage défile dans la cabine. Robert Bruce lui-même doit copier la phrase mystérieuse. Quand tout le monde s’est exécuté, le capitaine regarde son second en hochant la tête : l’écriture qui figure sur l’ardoise ne correspond à celle d’aucun des membres de l’équipage…
Le capitaine Blackman, cette fois, est très impressionné. Comme tous les marins de cette époque, il est superstitieux. Après avoir réfléchi un instant, il dit à son second :
— Qu’on mette le cap sur le nord-ouest !
Et le cargo change de route.
Les heures passent. De temps en temps, le capitaine Blackman, sans rien dire, prend sa lorgnette et examine la mer. Que s’attend-il à trouver ? Il l’ignore ; mais il a l’intuition que ce changement de cap ne sera pas inutile.
Et vers quatre heures de l’après-midi, un marin aperçoit quelque chose. On approche. C’est un navire anglais pris dans les glaces.
On distingue des hommes qui agitent les bras. Le capitaine fait mettre des chaloupes à la mer et l’on ramène à bord du Swallaw tout l’équipage en perdition.
Un à un, les hommes transis et épuisés montent par l’échelle de corde, accueillis par le capitaine Blackman et son second.
— Nous venons de Québec, disent-ils, et nous allions à Liverpool quand notre bateau a été immobilisé par les glaces. Il y a une semaine de cela et notre situation devenait désespérée… Heureusement que vous êtes venus nous sauver !...
Les hommes montent toujours, enjambant le bastingage, et vont se faire servir un bol de vin chaud.
Soudain, Robert Bruce a l’impression que son cœur s’arrête de battre. L’homme qui, là, devant lui, se hisse en ce moment à bord du Swallow, cet homme un peu fort, blond et aux yeux clairs, il le reconnaît : c’est celui qu’il a vu dans la cabine du capitaine quelques heures plus tôt…
Un instant, leurs regards se croisent et Robert Bruce a l’impression que l’autre paraît troublé. Il le suit, le regarde boire son verre de vin chaud, puis s’approche et engage la conversation :
— Je me nomme Robert Bruce, je suis second à bord de ce bateau… Dites donc, c’est une chance que nous soyons passés dans les parages…
— Oui, dit l’autre… Mais je savais que nous serions sauvés…
— Comment le saviez-vous ?
— Ce matin, je dormais et j’ai fait un curieux rêve… J’ai rêvé que j’étais à bord d’un cargo anglais comme le vôtre et que je rencontrais un homme… il vous ressemblait d’ailleurs, c’est curieux… J’étais dans une cabine, assis devant une table. Et puis, l’homme est parti. Alors, j’ai pris une craie et j’ai écrit un message sur une ardoise… Je me souviens, j’ai écrit : Gouvernez nord-ouest !... Ensuite, je me suis réveillé et j’ai dit aux copains : « Aujourd’hui, on sera sauvé ! »… Je leur ai raconté mon rêve et ils ont rigolé. Mais quand ils vous ont vus arriver, à quatre heures, ils étaient un peu épatés… Moi aussi, d’ailleurs…
Robert Bruce a écouté le marin sans l’interrompre.
— Voulez-vous venir avec moi ? dit-il. Je vais vous montrer quelque chose.
Et il l’entraîne dans la cabine du capitaine.
— Reconnaissez-vous ceci ?
L’autre voit l’ardoise où se trouve toujours la phrase écrite à la craie, et blêmit :
— Mais, c’est mon message… Ce n’est pas possible !
— Si. Vous êtes venu ici ce matin, vers huit heures, écrire ces mots. Je vous ai vu… Puis vous avez disparu. Or, c’est à cause de ce message que nous avons changé de route, et c’est grâce à lui que nous vous avons sauvés…
Cette étrange anecdote a été racontée par Robert Bruce et le capitaine Blackmand ainsi que les marins des deux cargos. Tous l’ont, en effet, abondamment racontée au point que la Société de Recherches Métapsychiques, qui existait déjà à cette époque à Londres, en a eu connaissance et en a publié le récit dans sa revue.
Sources :
Histoires magiques de l’histoire de France – Guy Breton et Louis Pauwel sous le titre “Le fantôme de Terre-Neuve”, Chapitre "Le corps, cet infini", Editions Omnibus, page 753.
Revue métapsychique, 1936 ; 1939 ; 1940 ; 1946.
Journal of Society Psychical Research, III.
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