Et si les chimpanzés mais aussi les insectes nous mettaient sur la piste de nouveaux remèdes contre le paludisme ou le cancer ? Des scientifiques mènent l’enquête.
Ce chimpanzé mange une plante de la famille des phytolaccacées, reconnue pour ses vertus thérapeutiques et largement utilisée dans l’industrie pharmaceutique.
Des chimpanzés qui mâchent un morceau d’écorce pour traiter des troubles digestifs ; des dauphins qui se soignent tout seuls d’importantes blessures… Depuis une vingtaine d’années, les observations d’automédication chez les animaux s’accumulent, principalement chez les primates, plus récemment chez les insectes. Et si ces comportements inspiraient à l’homme de nouveaux médicaments ? C’est en tout cas l’objet d’un champ de recherche en plein essor : la zoopharmacognosie ou l’étude des substances naturelles consommées par les animaux à des fins thérapeutiques.
Les chimpanzés consomment certaines plantes pour leurs vertus thérapeutiques
En France, Sabrina Krief est une des figures de proue de cette discipline. Depuis 2000, cette vétérinaire de formation a choisi de se laisser guider dans ses recherches par les chimpanzés. Le déclic ? Peut-être lorsqu’elle découvre, dans la littérature scientifique, que certains singes sauvages ingurgitent des feuilles d’Aspilia : rugueuses et hérissées de petits poils, celles-ci provoquent l’expulsion rapide des parasites intestinaux. Mais c’est surtout sa première expérience au Congo, auprès de chimpanzés orphelins élevés par des humains qui, une fois relâchés en milieu naturel, ont intégré dans leur alimentation des plantes utilisées en médecine traditionnelle, qui pousse la chercheuse à creuser le sujet.
Comment les grands singes “savent-ils” choisir les parties des plantes qui semblent les soigner et éviter celles qui leur sont nocives ? Que contiennent-elles ? Pour trouver des réponses et définir ce qui relève de l’automédication dans ces pratiques, Sabrina Krief va lier l’observation vétérinaire et comportementale des chimpanzés à l’identification des principes actifs en jeu dans les plantes qu’ils sélectionnent pour soulager leurs maux. Avec l’idée, à terme, de tester leur transposabilité à l’homme et de les proposer en vue de concevoir de nouveaux médicaments. Étant donné que nous partageons plus de 98 % de notre bagage génétique avec notre cousin, ce qui est bon pour lui pourrait l’être pour nous. Intéressé par l’originalité de sa démarche, l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN) du CNRS, où la chercheuse a fait ses classes de chimie sous la houlette de Thierry Sevenet, directeur de recherche et pharmacien de formation, lui a ouvert ses portes. Aujourd’hui, ses collaborateurs y poursuivent les investigations.
Pour éliminer certains parasites, les chimpanzés mangent de l'Albizia
Toujours en quête de nouvelles molécules, la primatologue, aujourd’hui maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, alterne entre paillasse et missions dans le parc ougandais de Kibale, un lieu d’observation exceptionnel des primates sauvages. Là, sur un territoire de 20 km2, à plus de 1 500 mètres d’altitude, au cœur de la forêt équatoriale, entre marécages et plantations de pins et d’eucalyptus, elle piste les chimpanzés malades ou au comportement inhabituel, récolte leurs fèces et leur urine, recueille les parties de plantes qu’ils ont consommées (tige, feuille, fruit, écorce et racine) et les compare aux 300 parties de plantes composant leur régime alimentaire habituel.
L’écorce de cet arbre, l’Albizia, est consommée par les chimpanzés atteints de troubles digestifs.
Parmi ses trouvailles marquantes, des résidus d’Albizia : atteinte de troubles digestifs, une jeune chimpanzé s’est isolée un matin pour mâcher l’écorce de ce gros arbre au goût très amer délaissé par ses pairs ; deux jours plus tard, la charge parasitaire élevée diagnostiquée précédemment dans ses selles était éradiquée. Plus récemment, la consommation par les chimpanzés de ce groupe d’une dizaine de plantes différentes, capables de limiter la prolifération du Plasmodium, parasite à l’origine du paludisme, a pu être établie. Sabrina Krief a également pu constater que les chimpanzés ingéraient certaines plantes avec de la terre, comme on le pratique en galénique pour optimiser l’efficacité d’une molécule. De quoi impressionner les pharmacologues !
Si cela vous dit, je vous invite à lire l'article dans sa totalité sur le site du CNRS Le journal car il parle également des insectes qui pratiquent, eux aussi, l'automédication...
Chez le papillon monarque, la femelle ne pond pas ses œufs au hasard. Si elle est infectée par un parasite, elle choisira en effet de pondre sur une plante fatale pour l’intrus.
Pour aller plus loin :
Extrait de la conférence grand public "Le système immunitaire est-il la clé de la santé pour l'Homme ?" du Forum BIOVISION 2014
Livre co-édité avec le Muséum national d'Histoire naturelle.
Imaginez-vous au coeur d une forêt tropicale. À moins de dix mètres, des chimpanzés sauvages. Leur regard croise le vôtre. Vous entendez leurs rires, leurs parties de jeu endiablées. Vous les voyez utiliser des outils, prendre soin de leurs petits. Voilà ce que vivent depuis plus de quinze ans Sabrina Krief (vétérinaire et primatologue) et Jean-Michel Krief (photographe). Ce beau livre est l occasion unique de partager avec eux ces instants exceptionnels auprès de ces singes si proches de nous. Le livre est co-édité avec le Muséum national d'Histoire naturelle.
- Le site de l'auteur : Sabrina Krief