aux éditions Plon
- En 1757, un an après avoir inventé le personnage de Julie dans La Nouvelle Héloïse, Jean-Jacques Rousseau rencontre Sophie d’Houdetot, et se retrouve dans la situation de son héros Saint-Preux : même différence sociale rendant leur amour a priori impossible, même relation triangulaire s’instaurant avec le mari de sa maîtresse qui, comme dans le roman, est l’un de ses amis, même échec final… Rousseau a-t-il forgé son destin par l’imagination, ou a-t-il sciemment recherché dans la réalité une situation semblable à celle de ses créatures fictives ?
- […] L’astronome Asaph Hall découvre dans sa lunette, en 1877, deux points en orbite autour de la planète Mars. Il baptise ces satellites Phobos et Déimos. Mais, un siècle et demi auparavant, à une époque où une telle observation était rigoureusement impossible, un écrivain avait déjà décrit avec une précision égale ces deux lunes de Mars : Jonathan Swift, dans Les Voyages de Gulliver. [...]
- En 1869, Jules Verne publie son roman De la Terre à la Lune. Il y raconte comme un « boulet capsule » du nom de Colombiad, tiré par un énorme canon situé en Floride, atteint la Lune en 73 heures 13 minutes. Sur quoi peut-il fonder son calcul ? Le voyage d’Apollo 11, cent ans plus tard, durera précisément 73 heures et 10 minutes. [...]
- En 1891, Oscar Wilde décrit, dans le Portrait de Dorian Gray, l’homme qu’il va rencontrer deux ans plus tard et qui détruira sa vie : lord Alfred Douglas. […] la ressemblance, tant physique que morale (photographies et témoignages en attestent), de cet Alfred avec le prédateur démoniaque du Portrait de Dorian Gray est confondante. Au point que les sceptiques concluent qu’on moissonne ce qu’on sème, voilà tout […]
- Emile Verhaeren, quant à lui, met en scène dans plusieurs de ses poèmes l’image d’un train fou semant la mort sur son passage, et la vision funèbre d’un quai de gare envahi par des voyageurs hostiles. C’est dans ce décor précis que, le 27 novembre 1916, il mourra broyé sous le train en marche dans lequel il avait tenté de monter, voulant devancer la foule énervée qui se pressait sur le quai pour prendre d’assaut les places assises. [...]
- Même prescience chez Arthur C. Clarke, l’auteur de 2001 l’Odyssée de l’espace, adapté au cinéma en 1968 par Stanley Kubrick. Dans un de ses romans suivants, Odyssée II, Clarke imagine qu’un satellite de Jupiter, Europe, possède un océan sous-glaciaire grouillant de vie, comme dans les puits de chaleur de nos grands fonds marins. Et il en donne une description parfaitement fidèle aux images qu’enverra sur Terre, quinze ans plus tard, la sonde Galileo. [...]
- En 1983, Frédéric Dard commence l’un des romans qu’il appelle modestement ses “grands formats”, pour les distinguer des San Antonio classiques paraissant directement en poche. Il s’agit de Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches ? Ce sera l’un de ses chefs-d’œuvre. Aux confidences autobiographiques se mêle l’histoire inventée d’un romancier qui lui ressemble comme un frère adoptif. Un taiseux au grand cœur dont la vie bascule le jour où un inconnu, s’étant introduit chez lui à la faveur d’un reportage télévisé, lui kidnappe sa fille. […] Personne n’a connaissance de l’histoire angoissante dont, le soir venu, Frédéric Dard enferme les feuillets dans un tiroir. […] Mais le 23 mars 1983, à l’heure du petit déjeuner, il découvre la disparition de sa fille Joséphine. Le ravisseur s’était glissé dans l’équipe de tournage, pour effectuer son repérage des lieux. Exactement comme Frédéric l’avait écrit quelques jours plus tôt. […] Dans la réalité, le drame se termine bien. Joséphine est retrouvée très vite, saine et sauve, sans traumatisme apparent. […]
En 2002, à l’université de l’Illinois, débute une expérience passionnante. Les neurologues américains McDonough, Don et Warren entreprennent d’étudier, en laboratoire, les réactions du cerveau au moment où il sollicite un pressentiment. Protocole tout simple : des cartes à jouer s’affichent de manière aléatoire sur un écran d’ordinateur, et on demande à des personnes “ordinaires”, équipées de casques à électrodes, de deviner à voix haute quelle sera la carte suivante.
Ces trois neurologues ont ainsi mis en évidence un fait capital : juste avant qu’apparaisse sur l’écran la carte tirée au sort par l’ordinateur, le tracé de l’encéphalogramme est différent lorsque la personne a deviné la bonne réponse. Autrement dit, notre cerveau sait qu’il a raison, avant même d’en recevoir la preuve1.
Eh oui, vous n’êtes pas au bout de vos surprises en lisant le Dictionnaire de l’impossible de Didier van Cauwelaert !! Comme cet autre article : Un maître guéri par son chat depuis l'au-delà...
1. Le Monde des Religions, mai 2008.
Pour aller plus loin :
En cliquant sur l’image ci-dessous, je vous invite à écouter l’émission Les Aventuriers de l’Impossible, diffusée cet été, qui relate ces écrivains visionnaires et bien d’autres choses encore…
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Pour aller encore plus loin :
Il y a aussi Pierre Bayard dans son essai Demain est écrit, aux Éditions de Minuit, qui analyse ces faits en rapportant beaucoup d’autres situations analogues ayant marqué la littérature.
La littérature peut-elle prédire l'avenir ? La question se pose devant le nombre d'écrivains qui, d'Oscar Wilde à Virginia Woolf ou de Proust à Kafka, anticipent sur les événements majeurs de leur existence - rencontres, accidents, disparitions - et ne semblent pas seulement marqués par ce qui s'est produit hier, mais par ce qui leur arrivera demain.
S'il est vrai que la littérature puise une partie de son inspiration dans le futur, il convient d'en tenir compte dans notre perception des œuvres et de découvrir des conjugaisons nouvelles, de rechercher les traces stylistiques des événements qui n'ont pas encore eu lieu et de raconter la vie des écrivains dans le bon sens, c'est-à-dire en commençant par la fin.